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Mon vieil ami

L’autre jour, monsieur T. et moi-même marchions dans le petit jardin extérieur de sa résidence. Marcher est ici un grand mot, car pour faire le tour du jardin d’à peine 15 mètres de circonférence, cela nous prend une bonne heure. Il me racontait alors combien il était heureux de me connaître. À chaque pas, nous nous arrêtions sur place quelques minutes, histoire de bavarder un peu. Chaque fois, il ouvrait très grand ses yeux comme s’il avait quelque chose d’important à me dire.


Mais ses mots ne franchissaient pas toujours ses lèvres. Souvent même, pas un seul mot ne sortait, que de grands souffles et des soupirs. Il chancelait sur place. Alors, on reprenait notre marche de plus belle, pour un pas encore.


Le pas suivant, il s’arrêtait et me disait: « C’est drôle », et puis plus rien. D’ailleurs, plusieurs de ses phrases débutaient par ces deux mots, et je savais alors qu’il voulait dire qu’il était surpris et qu’il était aussi dans la gratitude. Dans sa tête, les idées arrivaient et repartaient comme une étincelle qui ne trouve pas l’oxygène nécessaire pour prendre vie.


D’autres journées, il était très loquace. Il fallait quand même que je lui donne le temps de bien construire ses phrases et de ne pas les terminer à sa place. Même quand l’envie me prenait de le faire, je tournais ma langue 7 fois me rappelant que j’étais là avant tout pour lui. Quand il était dans une bonne journée, il pouvait alors me parler de son pays ou de son enfance, comme de ses goûts littéraires ou musicaux. Depuis un an que je côtoyais monsieur T., j’avais appris quelques-unes de ses histoires.


À sa meilleure journée à vie, j’ai cru qu’il parlerait de nouveau tout à fait normalement. Il s’exprimait en anglais dans le lobby de la résidence et nous discutions de choses et d’autres, confortablement assis, comme si nous étions dans un chic salon de thé londonien. Cette fois-là encore, j’avais joué le jeu, et trouvé cet homme tellement fantastique.


Monsieur T., comme bien des personnes âgées aujourd’hui, était garant de la curatelle publique, dans ce sens qu’il n’avait personne dans sa famille pour s’occuper de lui. En d’autres termes, on l’avait abandonné au système.

Bien que le personnel le traitât de façon exemplaire dans la résidence où il habitait, il avait besoin de vivre des relations d’amitié où il se sentait aimé, important pour quelqu’un. Autrement, il dépérissait comme bien des vieillards en CHSLD.


Je ne vous apprends pas grand-chose lorsque je vous parle de mon vieil ami. Vous vivez ou avez vécu probablement quelque chose de semblable encore une fois par le biais de votre famille. Mais j’aimerais vous partager certaines observations que j’ai faites, observations qui en disent long sur notre façon d’aimer les autres, de les accompagner ou d’en prendre soin.


Le temps des fêtes fut pour lui un moment plus difficile. Non pas à cause du manque d’implication familiale qui tourne autour de cette période, mais plutôt parce qu’on avait changé sa médication. Sur l’heure du midi, m’avait-on affirmé, il semblait s’ennuyer beaucoup. Pour pallier cela, on avait donc commencé à lui donner des anxiolytiques pour l’aider à calmer ce pseudo-ennui. Ce qu’on lui avait donné coupait non seulement le rapport direct avec ses émotions, mais également celui qui créait les liens avec sa mémoire.


Le résultat fut rapide et décevant. Un dimanche, alors que pour la première fois je l’avais retrouvé habillé de vêtements dépareillés; la robe de chambre tout à l’envers, mise en dessous de son pull. Il avait l'air si absent qu’au bout de quelques minutes seulement, et bien incapable de parler, d’ouvrir la bouche ou de soupirer, il s’était assis. Une partie de lui me reconnaissait probablement, mais il ne pouvait l’exprimer. Tout était gelé. Puis, réalisant que nous avions peu ou pas d’échange, il s’était mis à pleurer.


J’en avais parlé au personnel bien sûr, sachant que j’avais peu de recours pour m’interposer entre son protocole de soin et lui-même. On m’a toutefois écoutée.


Mes amis, ces moments à donner à l'autre l'espace nécessaire pour être, être vivant tout simplement pour quelqu'un, sont pour moi synonymes du mot plénitude. Je me rends compte que le sens de la vie n'est pas devant soi à planifier toutes sortes de projets, mais ici même dans un instant passé avec un homme qui termine sa vie.


Il s'agit peut-être d'un instant vide pour quelqu'un qui nous regarde, mais en vérité nous le remplissons chacun à notre manière d'un peu de ceci et de cela. Ces moments passés ensemble sont toujours uniques, car, comme le mot le dit, nous sommes ensemble. Et l'intention qui émane de l'un comme de l'autre en est une de bonté et de bienfaisance tournée vers nous.


J'adore lui permettre d'être simplement lui-même, car j'ai alors l'impression qu'il redevient jeune tout d'un coup. Je sais que par le temps que je lui offre, par mon rire ou par ma main, je réponds vraiment à ce que la vie attend de moi et à ce que moi j'attends d'elle.

J'ai toujours su que l'amour était la seule chose qui reste lorsqu'on arrive en fin de vie. Et maintenant, je comprends que l'amour est et sera toujours l'unique chose qu'il nous faut cultiver dans notre jardin.


Lady Isabelle xx

 


 
 
 

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